« Au détour de la mer de nuages »

16 mars - 13 avril 2013

Avec les artistes : Joan Ayrton, Florian Bézu, Alexandra Pellissier, Didier Rittener, Batia Suter

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Vue de l'exposition

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Joan Ayrton, Marbled paper II with Ice and Ashes, 2013 - photographie, papier marbré

Joan Ayrton, Marbled paper I with Lava field, 2013 - photographie, papier marbré

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Joan Ayrton, Série islandaise (Islande I, II, III, IV, V, VI, VII), 2012 - 2013, laque glycérophtalique sur plaque de métal

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Florian Bézu, Carte postale,The Great Waterfall at Tivoli near Rome, 1790, Jakob Phiilpp Hackert, 2012 - carte postale, eau de javel

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Florian Bézu, Cascade, 2012 - faïence émaillée

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Alexandra Pellissier, Sans titre, 2011 - crayon sur papier

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Alexandra Pellissier, Down Imaging 3, Down Imaging 2, Down Imaging 1, 2012 - crayon sur papier

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Didier Rittener, Après tout, (DÕaprès Les éléphants de Charles Gleyre vers 1856), 2011 - dessins transférés sur papier Zerkall

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Batia Suter, Horizon - Glaciers, 2011 – 2012 - dyptique, impression numérique

vuePhotographies : © Aurélien Mole

 

- Au détour de la mer de nuages -

Le personnage à la redingote, vu de dos, contemplant l’immensité du paysage, a disparu, emportant avec lui toute trame éventuelle de narration. Le spectateur peut se projeter à sa place, confronté au paysage devenu autonome. Cette exposition réunit plusieurs artistes autour de la question de la re - présentation du paysage dans ses transcriptions contemporaines. Face à un monde qui change et qui s’abîme, les oeuvres présentées interrogent l’image, sa manipulation et ses déplacements. Elles s’exposent aux enjeux de la technique et aux jeux du hasard.

Didier Rittener travaille et détourne des trames préexistantes empruntées à l’histoire de l’art et de la représentation pour les inscrire dans une dynamique actuelle : perte de repères et effacement de l’individu. Il applique à ces images un procédé chimique de transfert, constituant des séries de pièces uniques, chaque image portant les traces de ses multiples duplications. Le transfert tout d’abord technique est également mental et conceptuel. Entre apparition et disparition, ces mondes dépeuplés créent chez le spectateur un trouble causé par l’impression de « déjà vu » où l’absence, confrontée à la réminiscence des formes, se traduit en présences persistantes.

Entropie du paysage. L’artiste Florian Bézu soumet le paysage de carte postale aux affres des procédés chimiques, trempant les images dans l’eau de javel. Sur le papier cartonné apparaissent une multitude de cristaux microscopiques. D’un point de vue géologique, la cristallisation n’est autre que ce phénomène naturel qui fait passer le paysage du désordre liquide à l’ordre compact. Cette collision des matières a pour résultat étonnant de nous donner à voir tout à la fois l’origine du paysage et sa disparition. Rongé par l’acidité du produit industriel, ce paysage en formation peut basculer à tout moment, jusqu’à l’effondrement en poussières résiduelles.

Batia Suter développe également une réflexion sur l’utilisation d’images empruntées à notre environnement visuel. Leur attribuant le statut d’archives, elle les collectionne, les retouche parfois et les reproduit en les associant selon des critères formels, fonctionnels, iconographiques, etc. En confrontant en diptyque deux grands tirages de paysages, elle relie deux horizons distincts sur une même ligne, dé-focalisant le point de fuite, questionnant l’artificialité du paysage naturel et plus largement le sens de la vérité, de la fiction et du mensonge de l’image.

Terres de feu, terres de glace. L’Islande offre des paysages étonnants de collision et de fusion entre différents écosystèmes. Joan Ayrton traduit ces contradictions dialectiques à travers des diptyques associant des photographies noir et blanc grand format et des papiers marbrés. Issus d’une tradition artisanale locale de la reliure découlant d’une longue culture littéraire islandaise, ces « marbled papers» semblent tout imprégnés du paysage. Les effets moirés obtenus à partir du télescopage de couleurs sont ponctués de nimbes : ces cercles blancs et scintillants détourant chaque goutte d’encre. L’ensemble crée des formes aléatoires, pourtant étrangement similaires à celles que nous donnent à voir les photographies de l’artiste. Cette rencontre fortuite entre le paysage naturel photographié et les papiers peints par l’homme dévoile des rapprochements formels et plastiques. Émanant de la nature, le matériau papier en traduit la beauté palpable, éphémère et fragile. De la même manière que les paésines sont des « pierres à images », ils se révèlent être des « papiers à paysages » et autant d’impressions psycho- géographiques. Entre vision macro et microscopiques, les méandres du papier sont tout à la fois un détail tranché dans la roche et une dilatation de l’angle de vue à la manière d’un panorama : l’espace est ouvert et prend de la profondeur. Curieuse de ces analogies entre le paysage et les hasards de la technique, Joan Ayrton réalise des peintures uniques, à la laque, laissant la matière réagir sur de petites plaques de métal. Le format exigu ne restreint en aucun cas l’étendue possible du paysage évoqué, les couleurs aux reflets changeants offrant autant de méandres que d’interprétations possibles : des plis de la roche aux lames d’écume.

Alexandra Pellissier travaille à partir d’images de fonds marins reconstituées par le biais technique d'un logiciel d’ondes sonores à hautes fréquences émises dans des faisceaux. Elle transpose alors ces paysages immergés, à l’état du dessin pur, réalisé en nuances claires - obscures de couches de graphites. De ces paysages silencieux mis à jour émane un calme diffus, au réalisme si précis que la vision semble floutée par la densité de l’eau. Lorsqu’il ne reste plus aucun élément de vie et que l’on a perdu tout point de repère dans le paysage, Alexandra Pellissier domestique le vide, créant à partir d’un assemblage de matériaux naturels une architecture à l’échelle incertaine et à la raison d’être indéterminée. Pourtant la précision du dessin, la rigueur du trait, l’imbrication des formes et des volumes restitue les détails de la matière avec une maîtrise hyperréaliste. À nouveau, on se perd dans la matière même du paysage : les nervures, les plis et les coupes du bois.

Une version contemporaine de la dramaturgie du paysage où l’on s’étonne de ne pas s’y plaindre de l’absence de l’homme.

- Nadège Lécuyer -

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- Sidelong through a sea of clouds -

The character in the Redingote, seen from behind contemplating the immensity of the landscape, has disappeared, taking with him any potential narrative thread. The viewer might imagine himself in his place, confronted with the now autonomous landscape. This exhibition brings together several artists around the theme of the re-presentation of the landscape in its contemporary transcriptions. Faced with a changing and ever more disfigured world, the works presented explore the image, its manipulation and its movements. They have been exposed to risky techniques and to the vagaries of chance.

Didier Rittener works on pre-existing narratives borrowed from the history of art and representation in order to set them in a current approach : a loss of points of reference and the erasure of the individual. He applies a chemical transfer process to the images, creating a series of unique objects, each image bearing the traces of his multiple copies. The transfer, technical at first, is also mental and conceptual. Between appearance and disappearance, these depopulated worlds elicit unrest in the viewer, caused by the impression of ‘déjà vu’ in which absence, confronted to the reminiscence of forms, translates into persistent presences.

Entropy of the landscape. The artist Florian Bézu submits the landscape postcard to the torment of the chemical process, dipping the images in bleach. A multitude of microscopic crystals appear on the cardboard. From a geological point of view, the crystallisation is none other than the same natural phenomenon which transforms the landscape from liquid disorder into compact order. This collision of materials surprisingly reveals both the origin of the landscape and its disappearance. Eroded by the acidity of the industrial product, this landscape in formation will potentially disintegrate at any moment, finally crumbling into dusty residue.

Batia Suter also reflected on the usage and manipulation of images taken from our visual environment. Granting them the status of archives, she collects them, at times retouching them and reproducing them by associating them according to formal, functional and iconographic criteria, among others. By confronting two large landscapes prints in a diptych, she joins two distinct horizons on the same line, removing focus from the vanishing point, questioning the artificiality of the natural landscape and more widely the meaning of truth, fiction, and the falsehood of the image.

Lands of fire, lands of ice. Iceland offers magnificent landscapes of collision and fusion of different ecosystems. Joan Ayrton translates these dialectic contradictions by means of diptychs which unite large format black and white photographs with marbled paper. Coming from a local artisanal tradition of book binding, resulting from a long Icelandic literary culture, these ‘marbled papers’ seem to be entirely impregnated with the landscape. The iridescent effects arising from the collision of colours are punctuated with nimbus clouds: the white and scintillating cercles surrounding each drop of ink. The combination creates haphazard forms, although strangely similar to those shown to us in the artist’s photographs. This fortuitous encounter between the photographed natural landscape and the papers painted by human hand reveals formal and fine art analogies. Coming from nature, this paper material translates its palpable, ephemeral and fragile beauty. In the same way that Florentine marbles are ‘stones with images’, they reveal themselves to be ‘papers with landscapes’ - and psycho-geographical impressions. Between macro and microscopic visions, the meanderings of the paper are at the same time both a detail sliced from the rock and an expanded panoramic point of view: the space is open and has depth. With a curiosity for these analogies between landscapes and the randomness of the technique, Joan Ayrton produces unique paintings with lacquer, letting the material react on small metal plates. The narrow format does not restrict the possible range of landscapes evoked, since the colours and the changing reflections offer as many meanders as possible interpretations: folds of rock and slivers of foam.

Alexandra Pellissier works from seabed images recreated with the use of a software which emits beams of high frequency sound waves. She then transposes these immersed landscapes into genuine drawings, with Chiaroscuro nuances of graphite layers. A diffuse tranquillity emanates from the revealed silent landscapes, with a realism so precise that our vision seems blurred by the density of the water. When all traces of life have disappeared and we have lost all point of reference in the landscape, Alexandra Pellissier domesticates the void, using a collection of natural materials to create an architecture of uncertain scale and undetermined raison d’être. Yet the precision of the drawing, the rigour of the stroke, the overlapping forms and volumes reproduce the details of matter with hyper-realist mastery. Once again we lose ourselves in the very matter of the landscape: the veins, folds and cuts of the wood.

A contemporary version of landscape dramaturgy where one is surprised not to lament the absence of man.