Œuvre de documentation autant que livre d’artiste, cet ouvrage, édité à l’occasion de la 55e biennale de Venise, est à la fois une plongée dans l’histoire mouvementée d’un morceau de musique, un outil de recherches et un accès pour le lecteur aux thématiques qui ont animé l’artiste et sous-tendu son processus de création.
Dans le pavillon allemand – la France et l’Allemagne ayant échangé leurs pavillons –, Anri Sala projette simultanément deux films de deux mains de pianistes interprétant le Concerto pour la main gauche composé par Maurice Ravel à la demande du pianiste allemand Paul Wittgenstein, qui avait perdu son bras droit lors de la Première Guerre mondiale.
Les deux versions du Concerto commencent de manière asynchrone avant de se caler peu à peu l’un par rapport à l’autre, puis de se disjoindre à nouveau. Ce décalage temporel produit un sentiment perceptible d’espace.
Présentée sous le titre Ravel Ravel (to ravel signifiant emmêler en anglais), paradoxalement, cette répétition du même ne restitue pas la musique de manière identique.
Dans les salles latérales du pavillon, sous le titre Unravel, un film montre une DJ qui mixe les deux versions des pianistes pour tenter, en les démêlant, de restituer leur unité première.
Plusieurs registres de textes proposent autant de points de vue qui se complètent et se répondent pour restituer la complexité des champs et des enjeux de ce projet artistique :
les témoignages historiques de Maurice Ravel, Paul Wittgenstein et Marguerite Long (pianiste amie intime de Ravel) ;
les textes fictionnels d’Alexander Waugh (spécialiste de Wittgenstein) et de Jean Echenoz (avec des extraits de son roman Ravel) ;
les textes théoriques de Dana Samuel sur John Cage et les chambres anéchoïques, et de Hans Brofeldt sur la technique musicale de la main gauche ;
les essais de Laurent Pfister (historien du droit), de Peter Szendy (musicologue et philosophe) et de Christine Macel (commissaire du Pavillon français).
De la même façon, images d’archives et illustrations, dessins préparatoires de l’artiste et images de ses films offrent des télescopages visuels et temporels féconds.
Le graphisme du livre donne à son tour à sentir ce mouvement, ce décalage des tempos musicaux : les pages sont scandées par des zones de vibrations verticales noires qui se déplacent comme si le pli du livre devenait mouvant, jusqu’à la tranche du livre elle-même qui glisse du dos à la couverture.